Urbanisation, SOA et BPM d’Yves Caseau
Les retours d’expérience d’un Directeur des Systèmes d'Information de grands comptes sont précieux et ne sont pas légions. Le parcours original de l’auteur lui permet d’exposer de manière pédagogique des point de vue de chercheur en architecture distribuée, d’ingénieur d’étude, de consultant en architecture de SI et enfin de DSI pour les aspects opérationnels. Fait assez rare pour ne pas être souligné, on trouve dans cet ouvrage de nombreux exemples concrets tirés de l’expérience à Bouygues Telecom.
Parution : août 2011 - 4ème édition
L'auteur
Yves Caseau possède un CV hors norme, Docteur en informatique (Université Paris-Sud, 1987), Docteur en Philosophie (Ecole normale supérieure, 1987).
Il débute dans la recherche chez Alcatel-Alsthom (1984-1988) puis chez Bellcore (1988-1994).
Il rejoint le groupe Bouygues en 1994 comme directeur du e-Lab.
En 2001, il est nommé CIO (Chief Information Officer) de Bouygues Telecom où il évolue comme vice-président exécutif en 2007.
Auteur et contributeur de nombreux ouvrages, il est, depuis 2012, académicien et président du Collège TIC de l'Académie des Technologies.
En 2014, il est recruté par le groupe Axa pour prendre la responsabilité du pôle digital.
Il entre en 2017 chez Michelin comme CIO du groupe.
Début 2021, toujours CIO de Michelin, il récupère la fonction du digital avec la fonction de CDIO (Chief Digital Officer).
Présentation
Ne vous fiez donc pas à la date de parution qui peut sembler ancienne pour un ouvrage traitant de tels sujets. D’abord parce qu’aucune solution technologique d’intégration n’est évoquée et ensuite parce que l’auteur à eu l’intelligence de prendre de la hauteur sur les questions et les éléments de réponses qui resteront encore pertinents pour longtemps.
A nouveau un livre qui a pour vocation de former à la démarche d’urbanisation. La progression se fait sous forme d'un triptyque : I - Les principes de l’urbanisation ; II - Les défis de l’urbanisation ; III - Perspectives.
I - Les principes de l’urbanisation
La première partie s’adresse aux néophytes, on y trouve les fondements de l’urbanisation du SI. La démarche est présentée comme une transformation progressive du SI intégrant l’existant, s'appuyant sur les processus métier et leur adéquation avec le SI afin d’atteindre flexibilité et évolutivité. Le moyen pour y parvenir est la mise en œuvre d’une architecture distribuée. Le SI urbanisé est basé sur les processus métier de l’entreprise, une structure hiérarchique en sous-systèmes ou les échanges sont standardisés suivant le modèle métier encore appelé langage pivot et enfin sur une architecture ouverte pour l’évolutivité.
L’auteur insiste sur la manière de concevoir la cartographie fonctionnelle où il faut éviter le dogmatisme et la théorisation. L’intermédiation encore appelé proxy permet de découpler les composants grâce aux adapteurs et contribue à la mise en œuvre d’une architecture agile.
Le théoricien s’exprime sur les techniques de modélisation comme sur la réification d’un lien consistant à le représenter par une classe avec des méta attributs comme le degré de fiabilité, la durée de validité, des éléments de preuves, … L’avantage est de pouvoir utiliser l’héritage pour faire évoluer la sémantique du lien au cours des évolutions du modèle.
Le modèle de processus est un espace à 2 dimensions. La dimension horizontale représente les processus transverses et aux domaines fonctionnels de l’entreprise. La dimension verticale identifie des sous-processus masquant par abstraction des niveaux de détails qui ne sont pas nécessaires lorsqu’on étudie les processus dans leur globalité.
Par acquis d’expérience, le postulat principal de l’urbanisation est que l’analyse des processus métier fournit les bonnes interfaces de services. Les processus métier sont des enchaînements de services métiers qui évoluent par recomposition ou re-paramétrage des services mais sans modification des interfaces.
Un des fondamentaux de l’architecture est la diminution du couplage, qui passe, nous rappelle l’auteur par une communication asynchrone entre émetteur et récepteur et par la gestion d’un évènement qui n’est que la réification de l’échange.
II - Les défis de l’urbanisation
La deuxième partie montre l’importance de la conception dans la réalisation d’un SI agile et modulaire. Une modélisation du cycle de vie du SI, met en perspective les avantages et les inconvénients d’un projet d’urbanisation afin d’obtenir le retour sur investissement.
L’auteur nous livre les résultats du ROI d’une étude de Bouygues Telecom ainsi que d'entreprises similaires. A cause de la simplification du calcul des impacts, la phase de spécification/conception peut atteindre un gain de 30 %. Le fait que la logique d’enchaînement ne fasse plus partie du composant logiciel, permet une réduction du développement de 20 %. L’intégration ne dépendant que d’un adaptateur, on économise toutes les connexions du composant avec les autres et ainsi on arrive à diviser le travail par un facteur 3. En ce qui concerne les tests, et plus particulièrement les tests fonctionnels transverses et de non-régression, on peut compter sur un gain de l’ordre de 30 %. Quant à la réutilisation des services, il faut atteindre un niveau maturité correspondant à la réalisation d’un catalogue opérationnel pour avoir un gain substantiel pouvant aller jusqu’à 25 %.
Si cette analyse théorique reste pertinente, elle doit être modulée. En effet la phase de spécification/conception est impactée par le changement de paradigme qu’il faut assimiler, le développement des adaptateurs dépasse les estimations, l’infrastructure d’intégration est un investissement coûteux surtout lors de l'acquisition, du déploiement et de la mise au point.
L’auteur rassure en montrant que la situation est nettement plus positive sur le moyen ou le long terme.
Un des concepts clé de l’ouvrage est l’urbanisation fractale ou comment appliquer les mêmes principes à différentes échelles du SI.
La formalisation de cette récursivité peut s’exprimer de la manière suivante :
- SIU (Système Informatique Urbanisé) = un bus + un moteur de processus + des SIU branchés sur le bus qui rendent des services implémentant les activités des processus
- deux SIU + une passerelle qui joue le rôle de double proxy.
Dans une DSI moderne, l’exploitation est conçue comme un ensemble de services et la DSI signe avec ses clients des contrats de services avec les SLA (Service Level Agreement) servant de base à l'établissement de la tarification.
L’auteur va détailler les solutions de BAM (Business Activity Monitoring), l’exploitation des processus, la gestion des erreurs et donne des solutions aux transactions longues avec le modèle LRA (Long Running Action model).
Enfin différentes approches sont proposées pour la synchronisation de copies d’objets métier distribués.
III - Perspectives
La troisième partie est celle que je préfère. L’auteur donne sa vision de la gouvernance de la SOA, définie par des artefacts de partage d’information, des processus de validation et de mise à jour ainsi que des règles à respecter avec comme artefact principal, le catalogue de services.
Le BPM peut-il tenir ses promesses ? L’échelle de maturité du BPM est discutée en faisant référence à TOGAF et au Club Urba-EA.
Des solutions pour un modèle métier agile comme intégrer l’orienté objet, la méta-modélisation et la généricité.
Avec l’orienté objet on se concentre sur le “quoi” avant le “comment” en décrivant une ontologie des entités métier avant de penser à leur description et sur la réification des rôles dans le SI. Un méta-modèle décrit les entités utilisées pour construire les différents modèles de données, facilitant ainsi la compréhension de la terminologie métier, la comparaison de modèles différents et le transfert comme la migration d’un modèle vers un autre.
La généricité consiste ici à s’abstraire du positionnement de l’entreprise au sein de son industrie et s’imaginer que le modèle de données peut être partagé par d’autres membres de ce même domaine métier.
Les concepts de l’approche SOA sont exposés sans jamais spécifier de technologies comme les Web Services ou plus récemment les Microservices. L’auteur insiste surtout sur les dangers en soulignant que si l’urbanisation contribue à supprimer l’architecture spaghetti, il est par contre très facile de se retrouver avec un réseau de dépendances comme une infrastructure d’intégration mutualisée rendant le système plus rigide.
Toujours sur l’agilité, l’auteur insiste sur le paramétrage permettant des modifications rapides reposant sur des objets métiers et non plus sur des tables et effectuées directement par les domaines métiers. Lors de la refonte du back-office de Bouygues Telecom, l’augmentation du périmètre fonctionnel a augmenté la quantité de paramétrage. Pour éviter cela, il a fallu travailler sur les modèles de données pour augmenter le pouvoir d’abstraction des objets métiers de telle sorte qu’on puisse exprimer plus de choses avec moins de paramètres, ce qui revient presque à urbaniser le paramétrage.
La meilleure agilité consiste à rendre ses utilisateurs autonomes. L’expérience montre que la gestion des données est le plus grand obstacle à l’agilité. En effet lorsque les données n’existent pas, il est impossible de combler un besoin fonctionnel par un développement agile.
L’auteur cite le cas d’un projet qui a coûté 500 K€ pour simplement changer la logique de présentation d’une liste d’options. à cause d’un modèle de données trop pauvre, ce qui est classique et normal, et difficile à enrichir, ce qui est regrettable et évitable.
A l’éternelle question comment augmenter la productivité et diminuer les coûts, l’auteur répond en explorant des évolutions possibles de l’urbanisation.
La première c’est l’automatic computing autrement dit la capacité pour le SI à s’auto-administrer, s’auto-optimiser et à s’auto-gérer.
Ensuite le MDA (Model Driven Architecture) est discuté et si l’auteur le considère comme une source inspirante, il le déconseille car les processus métier sont de plus en plus complexes à réaliser et nécessite une analyse, une conception et des algorithmes tellement spécifiques que leurs générations à partir de modèles de haut niveau ne seraient absolument pas rentables.
Et pour finir, l’OAI (Optimization of Application Integration) consiste à agir en termes de débit, de temps de latence et de disponibilité sur les composants et l’infrastructure. L’objectif est de satisfaire les SLA exprimés sur des processus qui parcourent les composants, en utilisant les mêmes notions de débit, de latence et de disponibilité. A chaque processus est associé une priorité métier propre ainsi qu’une valeur métier puisque le processus est un fil de la chaîne de valeur. Deux problèmes doivent être résolus, le problème statique de satisfaire tous les SLA et le problème dynamique de minimiser la dégradation d’un point de vue métier lorsqu’une situation exceptionnelle se produit. L’OAI repose sur le middleware adaptatif et l’autonomic computing permettant d’obtenir des propriétés de self-configuration, self-optimizing et de self-healing pour la gestion des incidents.
Conclusion
Si comme on l’a dit au début, ce livre reste toujours d’actualité, on arrive à la limite de fraîcheur en ce sens que le Cloud Computing élément incontournable de l’agilité du SI est peu évoqué.
S’il est irréaliste d’imposer un modèle d’urbanisation unique, il n’en demeure pas moins primordial de partager un modèle métier commun, un ensemble de processus transverses, une stratégie d’assemblage, un catalogue de services et une urbanisation fractale.
L'auteur porte un regard global sur l’architecture d’entreprise qui va de la théorie (le pourquoi) à la pratique (le comment) tout en distillant quelques pensées philosophiques au milieu de concepts techniques, on ne s'en plaindra pas.
Le point de vue du DSI
Yves Caseau
Parution : août 2011 - 4ème édition
Collection : InfoPro
Editeur : Dunod
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Rhona Maxwel @rhona_helena |
“On devrait inventer l'alcootest politique, on devrait faire souffler les hommes politiques dans un ballon pour savoir s'ils ont le droit de conduire le pays au désastre”
Coluche
Compléments de lecture
- Le projet d'urbanisation du SI de Christophe Longépé
- Les étapes d'un schéma directeur
- Positionnement des processus et règles métiers dans la norme BMM Business Motivation Model de l’OMG et autres artefacts génériques
- Tutoriel – didacticiel – exemple complet sur la norme de modélisation des règles métiers DMN ( Decision Model Notation ) : Exemple d'exécution du modèle de décisions
- BPMN : processus exécutables, comment s'y prendre ? (3/3)
- CMMN (Case Management Model and Notation) : vie et mort d’une norme de l’OMG (Object Management Group)
- Les fondamentaux de la modélisation d'un Système d'Information : le bon usage des modèles
- SysML pour les nuls : de la modélisation des exigences à la réalisation du système
- Quels sont les meilleurs langages et notations de modélisation pour TOGAF ?
- Les concepts du métamodèle de l’architecture d’entreprise TOGAF (The Open Group Architecture Framework)
- Le processus des itérations ADM (Architecture Development Method), le moteur de la transformation d’entreprise TOGAF (The Open Group Architecture Framework)
A découvrir aussi
- TOGAF : Retour d'expérience sur les phases Migration Planning F, Implementation Governance G et Architecture Change Management H
- Cas concret d’un Système d’Information urbanisé : Mango
- Le projet d'urbanisation du SI de Christophe Longépé
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